LE BLANCHIMENT D’ARGENT ET LA RÉALITÉ MAURICIENNE

LE BLANCHIMENT D’ARGENT ET LA RÉALITÉ MAURICIENNE

La définition technique:

Le blanchiment d’argent est l’action de dissimuler la provenance d’argent acquis de manière illégale. Il se résume généralement en trois étapes

Le blanchiment d’argent et les activités financières illicites ont un effet dévastateur sur les sphères économique, sécuritaire et sociale d’un pays.

La première étape est connue comme le « placement stage ». C’est l’étape initiale où l’argent acquis illégalement s’introduit dans le système financier

La deuxième étape, aussi connue comme le « layering stage », s’avère être l’étape la plus
complexe au niveau des enquêtes. C’est l’étape à travers laquelle, une série de transactions légitimes est mise en place dans le but de dissocier
l’argent acquis de manière illégale, « l’argent sale » de la source d’obtention. Ces transactions sont
complexes, impliquant différentes entités comme des compagnies ou des fonds ainsi que des propriétés financières comme les actions ou les
sécurités. L’argent transite aussi souvent à travers divers paradis fiscaux dans d’autres juridictions financières.

 

La troisième étape se définie comme l’« integration stage ». C’est l’étape où l’argent réintègre le system financier à travers des transactions légitimes comme l’investissement dans les biens immobiliers ou dans les propriétés de luxe. C’est l’étape finale où l’argent sale est reconverti en transactions légitimes et légales

Un exemple : un trafiquant de drogue achète un restaurant en vue de déguiser les profits qu’il jouit de par le trafic de drogue avec les
rofits légitimes que fait le restaurant.

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La définition légale:

L’offense du blanchiment d’argent est définie sous la section 3 du Financial Intelligence And Anti-Money Laundering Act 2002 (FIAMLA).

Une personne peut être jugée coupable de blanchiment d’argent dans les cas suivants :

(a) s’il s’engage dans une transaction qui implique un bien soupçonnée d’être la recette d’une
activité illicite; et

(b) s’il a en sa possession, dissimule, déguise, transfère, convertit ou se débarrasse de l’argent dit
sale; et

(c) s’il retire ou fait entrer de l’argent dit sale à Maurice.

 

Quelles sont les autorités concernées dans la lutte
contre le blanchiment d’argent ?

L’Independent Commission Against Corruption (ICAC) est l’autorité principale à Maurice dans la lutte contre ce fléau. D’autres organismes comme la police, l’Anti Drug and Smuggling Unit (ADSU), la Financial Services Commission (FSC), le Financial Intelligence Unit (FIU) et l’ Integrity Reporting Services Agency ( IRSA) sont aussi chargés de mener des enquêtes et de règlementer le système financier afin de combattre les abus liés au blanchiment d’argent.

Le cadre juridique dans la lutte contre le blanchiment d’argent s’est amélioré avec plusieurs textes
de lois votées et misent à la disposition de ces autorités susmentionnés. Néanmoins, un manque
d’application de la loi et de capacité judiciaire et règlementaire pour aboutir à des convictions de
ceux qui commanditent et financent le trafic de la drogue se fait ressentir depuis très longtemps.
C’est là où le bât blesse.

 

Lien incestueux :

Blanchiment d’argent et le trafic de drogue.

La récente saisie de drogue, connue comme l’affaire Gurroby, ramène à la surface le fameux cas du « Tractopelle », notamment la saisie en 2019 de 95kg de cocaïne, estimée à Rs 1,4 milliards. Deux ans plus tard, on parle maintenant d’une saisie record de 243 kg d’héroïnes et 27 kg de haschichs, valant à Rs 3,7 milliards. La question suivante est inévitable: Est-ce que Maurice se positionne comme une plaque tournante dans le trafic illicite de la drogue?

Il faut tout d’abord bien comprendre qu’on parle de saisies réussies et qu’il y a potentiellement plusieurs kilos de drogue qui ont pu passer sous le nez de nos autorités. Ce qui est surprenant avec la récente saisie, c’est la puissance financière des trafiquants et la main mise qu’ils ont sur les voies maritimes

Quelles soont l e s l e çons ti r é e s e t où en e s t-on a v e c l ’ impl é ment a tion de s r e co mmanda tions de l a co mmi s s ion ?

L’on constate que la fermeture de nos frontières suite au confinement n’a en aucun cas affectée le marché de la drogue. L’une des recommandations proposées par la commission d’enquête sur la drogue était la création d’un « Sea Lane » qui aurait pour but d’acheminer sur une seule voie tous les navires qui souhaiteraient s’approcher de notre port.

La fermeture de nos frontières nous offre une occasion en or de tester l’efficacité de cette recommandation en s’assurant une surveillance permanente de notre zone maritime

Cela aurait pu démontrer avec précisions le rôle que joue Maurice comme une plaque tournante dans le trafic illicite de la drogue, hélas, occasion ratée.

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Voyons la réalité en face…

Il faut reconnaitre qu’une enquête sur le blanchiment d’argent n’est pas toujours aussi simple. Les astuces qu’utilisent les trafiquants sont diverses, complexes et variées.

De jour en jour, de nouvelles techniques de blanchiment d’argent émergent et elles sont de nature plus, complexes, rendant la tâche de nos autorités encore plus difficile.

D’abord le lien entre l’argent acquis illégalement et la transaction finale n’est jamais direct. La présence des intermédiaires ainsi que des transactions fictives représentent un vrai casse-tête pour les enquêteurs. Les transactions sont menées à travers des prête-noms et des sociétés écrans. La mission de retracer l’argent jusqu’à la source demande un travail minutieux. La collaboration avec les organisations mondiales et régionales s’avère nécessaire

Même au niveau de la détection, en cas de manque de compétences, la tâche d’établir, de recueillir et de diffuser les informations au sujet des transactions suspicieuses aux autorités peut s’avérer complexe. Le personnel dans le sectaire financier et bancaire n’a souvent pas toutes les compétences nécessaires pour démanteler les transactions complexes. La formation demeure importante.

D’autre part, la qualité d’une enquête constructive dépend aussi sur la coopération entre les régulateurs du secteur financier et le privé.Souvent, le partage d’information non seulement au niveau national mais aussi au niveau bilatéral, régional et international détermine l’aboutissement d’une enquête. Le partage d’information concernant les cas où l’argent transite dans les paradis fiscaux est crucial afin de faire la lumière pendant l’exercice du « money trail ».

Le manque de ressources humaines et technologiques au niveau des autorités représente aussi comme un obstacle au cours des enquêtes. La difficulté d’automatiser la collecte, l’agrégation et l’analyse des données retarde les enquêtes

En ce qui concerne les intermédiaires dans le blanchiment d’argent provenant du trafic de la drogue, ces derniers font fi aux autorités car ils ne brisent pas facilement le silence pour dénoncer les commanditaires et ceux qui financent les transactions, étant donné que ce fléau est régi par l’Omerta (la loi du silence).

L’exercice de retracer la source du financement est complexe et cela ne peut se faire par une autorité uniquement. La mise en point d’un plan d’action avec diverses autorités est primordiale. Dans certains cas, il faut même avoir recours à l’expérience des experts et des consultants dans des domaines spécifiques comme le forensic accounting ou computer forensics

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Comment procéder alors ?

L’approche qu’adoptent les autorités dépende souvent sur les preuves préliminaires recueillies. Normalement, elles se penchent soi vers des activités illicites ou vers le blanchiment d’argent.

Dans le cas des activités illicites, les autorités vont d’abord analyser ces activités, entreprendre un « money trail » pour identifier et récupérer l’argent sale.

Dans le cas du blanchiment d’argent, les autorités commenceront par analyser les transactions financières dans le but de les liées avec la corruption. Les étapes spécifiques incluent l’identification des personnes, des entreprises et des biens impliqués dans le cas ainsi que le lien existant entre eux, suivi d’une analyse des biens et le financement.

Il faut savoir que pour les entreprises qui sont régularisées par les régulateurs financiers, la responsabilité de s’assurer de la provenance d’argent revient à l’entreprise ou la société. C’est à eux d’être plus rigoureux dans leur « due dilligence » afin de s’assurer que le financement provienne d’une source légitime et de s’assurer que le profil et l’identité du bénéficiaire ultime est en règle.

Les régulateurs, quant à eux, ont le devoir de s’assurer que le système mis en place par les entreprises et les sociétés offshore pour la détection de la source de financement et l’identification du bénéficiaire ultime, est à la hauteur. La loi préconise que le régulateur instaure un system de responsabilité envers les entreprises et qu’il prenne les sanctions nécessaires contre ceux qui adoptent des systèmes déficients.

Les autorités peuvent faire la demande auprès des régulateurs pour avoir les records des entreprises afin de démontrer les laxismes et le mens rea de ces derniers, au cours des enquêtes.

Il est important de souligner que l’affaire DPP v A. A. Bholah (2011) UKPC 44 a clarifié qu’il suffit d’informer l’accusé de l’activité illégale qui donne lieu au délit de blanchiment d’argent, c’est-à-dire le <>, mais qu’il n’est pas nécessaire de la part de la poursuite de prouver les éléments de ladite offense. Cela étant donné que ça revient à l’accusé de venir prouver le contraire.

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Les conséquences

Toute personne jugée coupable de blanchiment d’argent est passible d’une amende ne dépassant pas Rs 2 million et d’un terme d’emprisonnement ne dépassant pas dix ans

La loi préconise, sous la section 8 du Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act 2002 (FIAMLA), que toute personne jugée coupable de blanchiment d’argent est passible d’une amende ne dépassant pas Rs 2 million et d’un terme d’emprisonnement ne dépassant pas dix ans. En plus de cela, la cours peut aussi ordonner à ce que toute propriété, appartenant à la personne jugée coupable, en sa possession ou sous son contrôle, soit confisquée.

La Cour a d’ailleurs souligné à travers le jugement Abongo v The State (2009 SCJ 81) l’importance d’avoir recours à des mesures de condamnations strictes pour combattre le blanchiment d’argent.

La loi prévoit aussi sous la section 44 du Interpretation and General Clauses Act 1974 que dans l’éventualité où une entreprise ait commis une offense criminelle, toute personne concernée par le « management » de l’entreprise sera considérée comme avoir commis le délit, sauf si elle peut prouver que le délit fut commis sans que le management soit mis au courant ou leur consentement et qu’elle a pris toutes les mesures raisonnables afin d’empêcher la commission du délit.

Non seulement les directeurs peuvent être poursuivis à titre personnelles, mais l’entreprise sera aussi sujette à une poursuite au pénal et les représentants (directeurs, secrétaires ou ceux autorisés à représenter l’entreprise) seront sommés de représenter l’entreprise en cour et de plaidoyer de la culpabilité de l’entreprise.

Comment l’Etat procède pour récupérer l’argent sale ?

Ce que l’on appelle l’argent ‘sale’ n’est pas nécessairement en forme liquide mais prend souvent la forme des biens/propriétés (Voitures de luxes, des hors-bords, propriétés de luxes).

Plusieurs autorités ont le pouvoir de saisir les biens criminels à Maurice et chacun opère de par un cadre législatif défini. En Octobre 2019, l’Etat a adopté une politique nationale avec une nouvelle vision commune reliant les autorités en charge de la saisie des biens. L’autorité principale concernant la récupération des biens est l’ « Asset Recovery Investigations Division » (ARID) sous l’égide du FIU.

L’ICAC, la police, l’IRSA et la Mauritius Revenue Authority (MRA) sont les autres autorités qui ont le pouvoir de saisie. Par exemple, l’ICAC peut, au cours d’une enquête, faire une demande auprès d’un juge en chambre pour le gel des biens d’un suspect (Attachment Order sous la loi du Prevention of Corruption Act).

L’IRSA peut faire une demande auprès d’un juge en chambre après avoir des motifs raisonnables pour la saisie de richesses inexpliquées (Unexplained Wealth Order sous la loi du Good Governance and Integrity Reporting Act 2015).

L’ARID peut aussi faire la demande pour les « Disclosure Orders » auprès des institutions financières pour qu’ils divulguent les relevés bancaires d’un compte suspect. Elle peut aussi enquêter auprès des banques, l’état civile, le « Passport & Immigration Office », l’« Economic Developement Bord », le « Registrar of Companies » et autres instances.

Sous l’ARID et notamment l’Asset Recovery Act 2011 (ARA 2011), les deux types de saisies se classent comme suit : (1) des ordres de confiscation suivant une condamnation ; et (2) des ordres de confiscation de non-condamnation.

Les ordres suivant une condamnation représentent une action criminelle à l’encontre de la personne et non du bien. Un exemple est un ordre du tribunal pour le gel des biens d’un individu jusqu’à la fin d’une procédure pénale (Restraining Order).

Suite à une condamnation, l’ARID peut loger une application auprès d’une cour de justice pour l’obtention d’un ordre pour la confiscation des biens de la personne, sujet au droit d’appel de la personne concernée (Confiscation Order).

La demande doit inclure une évaluation de la somme représentant le bénéfice qui a été obtenu ou qui allait probablement être obtenu par le coupable. Si la cour tranche en faveur de l’ARID, elle peut ordonner au coupable de payer à l’Etat cette somme.

Le deuxième type d’ordre (Ordre de non-condamnation) est une action civile à l’encontre du bien et non de la personne. Ce type d’ordre n’est pas sujet à des procès criminels.

L’ARID peut loger une application contre une propriété et doit démontrer que la propriété forme partie d’une recette ou d’un bénéfice d’une activité illicite ou un bien terroriste. L’autorité n’a pas le devoir dans ce cas de prouver que quelqu’un fut incriminer afin de sécuriser le dit bien (Restriction Order).

D’autre part, dans l’éventualité que l’ARID croit raisonnablement que le bien est la recette d’une activité illicite et que la cours fait le lien nécessaire entre le bien et l’activité illicite, une application peut être faite pour récupérer ce bien (Recovery Order).

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Ou va cet argent récupéré ?

Toute somme d’argent récupérée par l’ARID est créditée dans un compte bancaire spécifique de la FIU. Les biens mobiliers comme les véhicules sont tenus par la police et peuvent être vendus aux enchères. Les sommes récupérer sont créditées au « Recovered Assets Fund ».

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Comment l’Etat procède pour récupérer l’argent sale ?

Le blanchiment d’argent est bien ancré dans le system financier. Ceux qui s’adonnent au blanchiment d’argent ont une puissance et une connexion accrue dans le milieu des autorités et profitent de la présence de certaines brebis galeuses. Pour contrecarrée cela, les autorités nécessitent de ressources et du soutien politique. Sans cette volonté et approche politique rigoureuse dans la lutte contre le blanchiment d’argent, c’est perdu d’avance.

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